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Fair internet – un internet équitable pour les artistes interprètes

Tant au niveau européen que suisse, la révision du droit d’auteur et des droits voisins entre dans une phase décisive. Les interprétations exploitées en ligne seront-elles enfin rémunérées équitablement ?

Alors que le téléchargement légal de musique et de vidéos ne cesse de croître, le droit d’auteur et les droits voisins restent les parents pauvres de la diffusion culturelle par voie numérique. Les interprètes étant particulièrement négligés, une campagne à été lancée en 2014 par une coalition de quatre grandes associations représentant plus d’un demi-million d’artistes interprètes en Europe (AEPO-ARTIS, Association of European Performer’s Organisation, regroupant 35 organisations de gestion collective des droits des artistes interprètes, dont Swissperform ; EuroFIA, Fédération Internationale des Acteurs ; FIM, Fédération Internationale des Musiciens, dont fait partie l’USDAM ; IAO, International Artists Organisation). Le but de fair internet est d’inciter les gouvernements et les parlements à mettre en œuvre une législation accordant aux artistes interprètes la perception de leur juste part des revenus que leurs interprétations génèrent sur les plateformes numériques. Ce combat sera de longue durée, et il ne sera achevé que lorsque tous les artistes seront traités de manière équitable. Actuellement en Europe, nous sommes bien loin d’une prise de conscience, surtout dans une période où même le droit d’auteur, qui semblait pourtant bien acquis, se voit attaqué de manière répétée, infondée et inique.

Directive européenne

En matière de droit d’auteur et de droits voisins, le grand chantier législatif actuel consiste en la révision de la directive en la matière de l’Union européenne, dont le projet a été présenté par la Commission européenne le 14 septembre 2016. Malheureusement, on ne peut que constater qu’on n’y trouve aucune mesure concrète pouvant assurer une protection durable des artistes, adaptée à la situation et aux technologies actuelles. De manière générale, ce projet est critiqué par différents milieux, aux intérêts souvent divergents, et il sera difficile d’arriver à équilibrer les visées des diverses parties prenantes. C’est dire à quel point la suite de la procédure reste incertaine, les justes demandes des auteurs et des interprètes se trouvant souvent pris en étau entre, d’une part, les revendications des partisans d’un internet sans limite et, d’autre part, les exigences des géants de l’industrie du disque. Un des principaux dangers pourrait résider dans le fait qu’au nom de la croissance de l’économie numérique européenne, les intérêts des acteurs culturels, dont la « production » est assimilée à une marchandise, se voient en partie sacrifiés au nom de la marchandisation et du profit.

Le dossier se trouve maintenant aux mains du Parlement européen, et sa commission juridique s’est penchée sur la question en janvier. La problématique des plateformes numériques a bien entendu été abordée, et un des quatre vice-présidents de cette commission, le français Jean-Marie Cavada (par ailleurs ancien président de Radio France) a insisté sur le fait que « les pratiques de certaines plateformes en ligne qui diffusent des contenus sans transférer cette valeur vers les créateurs sont immorales et anormales », ajoutant que « l’accès libre et gratuit n’empêche pas qu’il y ait droit à une juste rémunération. » Sa collègue députée de Malte Therese Comodini souligne que les acteurs culturels doivent « recevoir une part équitable des bénéfices ». Un rapport sera rédigé par cette commission juridique et adopté en principe lors de sa réunion des 19 et 20 juin prochains.

Pour une rémunération décente

Actuellement encore, quelle que soit leur notoriété, les artistes interprètes ne se voient toujours pas attribuer de rémunération décente lorsque leurs interprétations sont exploitées via des services à la demande en ligne. Lors de l’enregistrement, le plus grand nombre ne reçoit qu’une rémunération forfaitaire unique couvrant tous les types d’exploitation. Les autres perçoivent une rémunération proportionnelle, mais très insuffisante. C’est la raison pour laquelle les quatre associations AEPO-ARTIS, EuroFIA, FIM et IAO demandent, dans le cadre de leur campagne fair internet, qu’une mesure soit introduite dans la législation européenne, garantissant aux interprètes un paiement spécifique chaque fois que leurs interprétations sont mises à la disposition du public en ligne. Cette rémunération devrait être administrée par les sociétés de gestion des artistes interprètes et payée par les utilisateurs, c’est-à-dire ceux qui mettent ces services à la disposition du public à la demande, les différentes sociétés et entités économiques proposant en ligne des contenus sonores ou audiovisuels (plateformes de téléchargement comme iTunes ou de streaming comme Youtube). Concrètement, l’utilisateur s’acquittera d’un montant unique à un seul organisme de gestion collective d’artistes interprètes. Une rémunération équitable pourrait ainsi être distribuée aux ayants droit concernés.

Révision de la loi en Suisse

En Suisse, la révision (ou « modernisation ») de la loi sur le droit d’auteur (LDA) est en cours. Chargé par le Département fédéral de justice et police (DFJP) de clarifier les questions en suspens suite à la procédure de consultation, le groupe de travail sur le droit d’auteur AGUR12 II a conclu ses travaux tout dernièrement, le 2 mars 2017. Des compromis ont été trouvés sur plusieurs points. Parmi les propositions d’AGUR12 II, on trouve l’allongement de la durée de protection des droits voisins ainsi que l’introduction d’un droit à rémunération en faveur des auteurs et des artistes interprètes dans le cadre de services vidéo à la demande. Le DFJP intégrera ces résultats dans ses réflexions en vue de réviser la LDA et soumettra au Conseil fédéral, d’ici au mois de juillet 2017, une proposition concernant la suite de la procédure. Une affaire à suivre.

Laurent Mettraux

https://www.fair-internet.eu