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Intermittent et au chômage?

La nouvelle législation sur la priorité des travailleurs indigènes ne concerne certes pas les musiciens. Mais le taux de chômage dans leur branche, qui a été publié dans ce contexte, a particulièrement surpris.

 Les employeurs des professions dont le chômage est plus élevé que la moyenne doivent annoncer depuis juillet les postes vacants au service de l’emploi. C’est le résultat des débats, qui ont duré quatre ans, pour trouver la manière de mettre en œuvre l’initiative « contre l’immigration de masse » acceptée le 9 février 2014 par le peuple et les cantons. A la place des quotas et des contingents initialement craints, l’heure est donc à ce qui est appelé la « préférence indigène light ». Est considérée comme « indigène » l’intégralité des travailleurs habitant la Suisse, indépendamment de leur nationalité. On espère qu’ainsi, ceux d’entre eux qui sont inscrits au chômage et qui appartiennent à une branche dont le taux de chômage est supérieur à huit pourcents pourront être entre autres réinsérés préférentiellement sur le marché du travail. Spécialistes en relations publiques ou en marketing, garçons de course, bétonneurs, intendants de maison, aides agricoles ou d’autres professions similaires en font partie, mais également les acteurs.

Le mécontentement de ces derniers ne se fit pas attendre, et cela pour diverses raisons, parmi lesquelles les faits de devoir d’abord annoncer les postes vacants auprès des offices régionaux de placement et de n’être autorisé à les annoncer publiquement que cinq jours plus tard, ainsi que le fait que la liberté artistique se voie restreinte par des fonctionnaires, probablement pour la plupart dans l’ignorance de ce profil professionnel spécifique, qui pourraient ainsi suggérer quels acteurs au chômage pourraient reprendre tel ou tel rôle vacant. En outre, des doutes quant à l’utilité concrète de ce nouveau règlement se sont fait jour. La crainte d’une charge bureaucratique inutile est manifestement grande. Dans quelle mesure on pourra également trouver dans l’obligation d’annonce des postes vacants quelque chose de positif d’un point de vue syndical, par exemple dans l’endiguement du dumping salarial, n’apparaîtra qu’avec de l’expérience et lorsque les vagues se seront apaisées. Mais il est encore trop tôt pour cela. Dans une lettre ouverte au secrétariat d’état à l’économie, les producteurs de films ont même exigé que soit levée l’obligation d’annoncer les emplois vacants pour les productions cinématographiques. Le ministre de la culture Berset a réagi à la protestation en arguant que les acteurs culturels ne se seraient pas assez mobilisés lors de la votation du 9 février 2014 ; en conséquence, on devrait maintenant en subir les conséquences. Il est possible que cela puisse s’avérer exact dans des cas isolés, mais qu’une personnalité politique importante en tire une telle généralisation ne pouvait qu’être perçu comme un affront par les acteurs culturels.

La musique ne se trouve pas sur la liste des genres de professions soumises à l’obligation d’annonce. Ce n’est pas davantage le cas pour la littérature, les arts plastiques, la danse et d’autres secteurs représentés par les associations professionnelles nationales. Toutefois, que le taux de chômage dans la branche musicale s’élève à moins d’un pourcent interpelle. On peut se demander si ce taux peu élevé reflète la réalité – des investigations sont en cours. Nous profitons de cette occasion pour signaler les dispositions particulières en matière de chômage pour les acteurs culturels. On peut présumer que celles-ci sont toujours trop peu connues, en particulier dans les agences pour l’emploi elles-mêmes.

Ayant droit : oui ou non ?

Il est notoire que les travailleurs exerçant principalement une activité indépendante ne dépendent pas de l’assurance chômage. Les bénévoles ne peuvent pas non plus être assurés. En revanche, les employés de chaque branche qui ont perdu leur emploi ou qui se trouvent partiellement au chômage, vivant en Suisse et ayant, lors des deux dernières années, versé au moins des cotisations durant douze mois à la caisse de chômage (le décompte se fait obligatoirement par l’employeur avec les cotisations AVS), ont droit par principe aux allocations de chômage. Il en est de même pour un nouvel arrivant sur le marché de l’emploi ou pour celui qui est exempté de cotisation, par exemple en raison d’une formation continue. Un autre critère important est l’aptitude à l’emploi, dont on peut dire en résumé qu’on considère comme apte celui qui est prêt, est en mesure et est autorisé à prendre un travail correspondant à ses capacités. Jusqu’ici, tout va bien.

Une erreur cependant encore très répandue est de croire que seuls ceux qui se trouvaient auparavant dans une relation de travail reçoivent une allocation de chômage. Il n’est pas rare que des intermittents se trouvent dans un rapport de travail durant la durée d’un projet déterminé dans le temps, quand bien même celui-ci serait court. Pour l’existence juridique d’un tel rapport de travail, cela dépend de plusieurs critères, entre autres des instructions concernant une activité définie contractuellement, de la fixation de temps de présence fixe (par exemple des services ou des réunions), de l’inclusion dans une structure institutionalisée (par exemple un ensemble) ou également de l’existence d’un rapport de subordination. Quant à savoir si l’activité professionnelle exercée est considérée comme salariée ou indépendante, Il faut l’évaluer au cas par cas. On trouve souvent des caractéristiques appartenant aux deux genres d’activité. Cela rend toute la question complexe et difficilement prévisible pour ceux qui ne sont pas des spécialistes des droits sociaux. En cas de doute, ce sont les autorités qui prennent une décision (caisse de compensation, service des impôts, etc.).

Retenons deux points : « intermittent » ne peut donc être identifié collectivement ni avec « indépendant » ni avec « salarié ». Les intermittents qui sont principalement indépendants, donc travaillant sous leur propre nom, pour leur propre compte et à leurs propres risques dans un emploi autonome, ne peuvent prétendre à aucune allocution chômage.
La situation est différente pour les intermittents qui pratiquent des activités salariées. Prenons par exemple le cas suivant : une violoniste joue dans divers ensembles et est à chaque fois employée temporairement par ceux-ci – que ce soit sur la base d’un contrat de travail écrit ou d’un accord oral, cela est tout à fait égal, même si la première solution est naturellement préférable ! En outre, elle enseigne un jour par semaine dans une école de musique, à titre temporaire dans un emploi à durée limitée. Quelles qu’en soient les causes, un grand vide apparaît dans un proche futur entre deux brefs engagements. Ces derniers ne suffisent pas, même avec son travail d’enseignement, à joindre les deux bouts. Elle envisage de s’annoncer comme chômeuse mais doute cependant qu’elle ait droit aux indemnités car elle a entendu une fois qu’il faut pouvoir prouver que, durant les deux dernières années, on a payé des cotisations à l’assurance chômage durant douze mois. Ce n’est certes pas faux. Cependant, le calcul qui s’applique pour elle en tant que musicienne est le suivant : pour chaque engagement d’une durée allant jusqu’à 60 jours civils, il faut compter le double du nombre de jours de travail accomplis. Et en ce qui concerne les engagements qui durent plus de 60 jours civils, 60 jours sont forfaitairement ajoutés au nombre de jours de travail accomplis. En raison de cette disposition qui a été ancrée il y a quelques années dans la Loi sur l’Assurance-chômage (articles 8 et 12a de l’OACI), il est possible dans les « professions avec changements de place fréquents ou engagements de durée limitée » de remplir plus facilement sur le papier les périodes obligatoires de cotisation.

Il faut voir au cas par cas la manière dont s’effectue concrètement le calcul, ce qui différencie arithmétiquement les jours civils des jours de travail et comment est calculé le revenu assuré moyen. On pourra aussi se renseigner à ce sujet auprès des offices compétents en la matière. Nous voulons encourager nos membres ainsi que les personnes intéressées à ne pas hésiter à nous raconter leurs expériences. Bien entendu, nous traiterions ces témoignages confidentiellement. Nous sommes conscients que la perte d’un emploi ou une situation professionnelle précaire sont souvent, particulièrement lorsqu’on est soudain statistiquement compté parmi un groupe social marginalisé, sujets de honte dans notre société basée sur la performance, avec sa fétichisation de la productivité au travail. Mais cela peut arriver à tout le monde – constat désolant, mais aussi réconfortant.

Johannes Knapp