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Une année de coronavirus – une rétrospective

Daniel Lienhard ; traduction : Laurent Mettraux, 31.03.2021

Depuis plus d’une année, la pandémie paralyse la vie sociale, en particulier le secteur culturel. Comment les musiciennes et musiciens, ainsi que les institutions à Berne, Bâle et Genève, ont-ils vécu cette année ?

Malgré quelques assouplissements, rien ne permet de dire que le fonctionnement normal prévaut à nouveau dans la vie musicale en Suisse. Il n’est pour l’instant pas encore possible de savoir quels concerts pourront avoir lieu durant la fin de la saison 2020/21, et sous quelles conditions.

A Berne, la saison de concerts 2019/20 a été abruptement interrompue le 12 mars après une interprétation de la 9ème symphonie d’Anton Bruckner sous la direction du chef titulaire Mario Venzago. Même la reprise du concert n’a plus pu être donnée en raison du confinement. L’espoir d’une fin rapide de la pandémie ne s’est pas réalisé : avant la pause estivale, seuls trois concerts consacrés à Beethoven ont eu lieu, avec un orchestre de 15 musiciennes et musiciens, dans la grande salle du Casino occupée par 300 personnes. L’Opéra a également dû interrompre ses activités.
En septembre et en octobre, jusqu’au confinement de la fin de l’année, quelques concerts symphoniques et un enregistrement de CD ont pu se dérouler devant un public et avec l’effectif orchestral habituel, outre les productions scéniques Paradise City et Otello.
Peter Hauser, violoncelliste solo remplaçant du BSO, relate que les concerts de musique de chambre et d’orchestre diffusés en direct, qui se sont déroulés durant la période sans public, n’ont pas connu de franc succès. L’investissement technique aurait été trop important et onéreux, le nombre de spectateurs trop modeste. Pour cette raison, on ne pourra pas dire non plus qu’un autre répertoire ou que de nouveaux formats aient pu s’imposer grâce à cette crise.
P. Hauser est d’avis que, plus longtemps la crise durera, plus les politiciens percevront eux aussi l’importance de la culture. On n’a jamais aussi peu douté que la culture soit d’importance systémique, représentant également un facteur économique important. Il espère que l’augmentation réjouissante du nombre de spectateurs constatée depuis la réouverture du Casino entièrement rénové ne soit pas freinée dans son élan par la pandémie.
Personnellement, Peter Hauser a tiré le meilleur parti de cette période sans répétition ni concert : il a amorcé un projet de musique de film avec des confrères. A côté des services d’orchestre, ajoute-t-il, il n’aurait pas pu trouver le temps de développer tout le savoir-faire nécessaire.

Bien que quelques parallèles puissent être tirés à Bâle par rapport à la situation à Berne, l’année s’est toutefois déroulée quelque peu différemment : la nouvelle salle de répétition de la Picassoplatz a été investie au printemps 2020, dans le bâtiment qui dorénavant abrite également l’administration de l’orchestre, et le Casino a rouvert en août, après une phase de rénovation et de transformation de trois ans. Lorsque la crise sera passée, l’Orchestre symphonique de Bâle (SOB) pourra bénéficier avec profit de ces deux lieux.
Importants pour l’orchestre, les concerts d’inauguration du «nouveau» Casino à la fin de l’été ont encore pu se dérouler avec 1000 personnes dans la salle. Mais à Bâle également, de nombreux concerts ont par la suite été victimes de la pandémie. Aussi longtemps que cela était autorisé, des concerts pour un public de 15 personnes ont encore été organisés, pour lesquels les places ont dû être tirées au sort. Franziskus Theurillat, le directeur du SOB, signale que ces concerts ont naturellement demandé des efforts considérables, de même que la représentation de l’opéra Saint François d’Assise de Messiaen pour laquelle une nouvelle version avait été préparée, avec un effectif réduit. Récemment, la répétition générale de La Traviata a semblé fantomatique : aucun applaudissement n’a salué les prestations exceptionnelles des chanteurs. La production ne sera accessible au public que lorsque le Conseil fédéral autorisera de nouveaux assouplissements.
M. Theurillat estime qu’il faut être incroyablement flexible en temps de pandémie. Ainsi, plusieurs enregistrements de CD, pour lesquels le temps aurait normalement manqué, ont pu être réalisés sur une période relativement courte. Le chef titulaire Ivor Bolton aurait dû diriger en janvier un concert retransmis par la radio – évidemment sans public – , mais n’a pas pu quitter l’Angleterre. Curieusement, c’est la remarquable remplaçante Mirga Gražinyt?-Tyla, cheffe titulaire de l’Orchestre symphonique de la ville de Birmingham, qui a pu être engagée, alors que ses débuts avec le SOB avaient été victime du premier confinement.
Jusqu’à présent, déclare M. Theurillat, l’orchestre a financièrement bien traversé la crise, grâce au chômage partiel ainsi qu’au fait qu’il n’a pas fallu s’occuper de la gestion de bâtiments et que de nombreux honoraires de solistes et de chefs d’orchestre n’ont pas eu à être versés. Contrairement à Berne, il a été décidé à Bâle de ne pas utiliser de parois en plexiglas gênantes lors des répétitions et des concerts, et, en conséquence, d’effectuer régulièrement des tests. L’ambiance est actuellement très positive au sein de l’orchestre.

A l’instar des deux orchestres de Suisse alémanique cités, l’Orchestre de la Suisse Romande (OSR), à Genève, a bien entendu dû cesser ses activités de concerts lors du premier confinement. En mai, des concerts comprenant des œuvres de Mozart, avec un orchestre réduit et un public restreint, ont pu avoir lieu. Parallèlement se sont déroulés des spectacles sur une roulotte de cirque transformée, les « Concerts en roulotte ». Tout en respectant les mesures de distanciation nécessaire, de petits ensembles ont pu se produire dans une acoustique plutôt bonne devant des homes pour personnes âgées ou handicapées, dans des parcs ou en ville ; l’accueil s’est avéré très positif. Céleste Roy, la bassoniste solo de l’OSR, pense même que cette initiative a enfin sorti la musique classique à Genève de son carcan élitaire. Au sein de l’orchestre, l’intérêt à participer à ces concerts était immense, et des représentations se sont poursuivies jusqu’en automne.
Après les vacances d’été et après que des concerts ont pu à nouveau se dérouler dans le cadre habituel, l’OSR a joué après le second confinement presque l’intégralité de son programme – bien que partiellement redimensionné – en tant que concerts en streaming. Que l’orchestre ait agrandi son département marketing il y a quelques années déjà s’est révélé être une aubaine : les connaissances techniques pour de nouvelles stratégies de commercialisation étaient déjà à disposition, et n’ont pas dû être élaborées fastidieusement au dernier moment. Le directeur musical et artistique Jonathan Nott a également joué un rôle décisif dans la réussite de certains projets, déclare Céleste Roy. Il s’agit d’un visionnaire, qui s’est engagé de manière exemplaire pour son orchestre. Le concert filmé dans lequel la 9ème symphonie de Beethoven était donnée avec les interprètes répartis dans tout le Victoria Hall, avec un résultat parvenant malgré tout à être musicalement convaincant, s’est avéré particulièrement spectaculaire.
Mme Roy relate qu’elle a utilisé ce temps libre imprévu de manière variée : elle a une nouvelle fois révisé minutieusement sa technique et travaillé un nouveau répertoire, donné un cours de maître par Zoom, et enfin trouvé à nouveau du temps pour la peinture acrylique. Parmi d’autres, quelques tableaux à coloration politique ont ainsi été conçus à cette période.

Trois orchestres en temps de crise du coronavirus : bien que ce ne soit pas tout à fait volontairement, de nombreuses idées ont pu être élaborées et aussitôt expérimentées. Si on veut le voir positivement, la pandémie a aussi pu favoriser un développement du paysage orchestral.