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Continuer à nourrir des projets

Que vivent les musiciennes et musiciens, membres USDAM, durant cette période de restrictions sanitaires ? Une interview de la hautboïste Valentine Collet.

Née à Genève, Valentine Collet a étudié à la HEM de sa ville natale, puis à Bâle, Mannheim et Paris. Après ses diplômes d’enseignement, de concert et de soliste d’orchestre, elle a également reçu un Master en musique contemporaine (International Ensemble Modern Academy de Francfort) et a entre autres suivi des académies d’orchestre (Bienne, Bâle, Festival de Lucerne, etc.). Membre de l’Orchestre de chambre fribourgeois depuis 2009, elle est invitée à jouer dans de nombreux orchestres et ensembles, dont l’OSR et Contrechamps. Elle enseigne le hautbois aux conservatoires de Genève (2015-2021) et de Fribourg (depuis 2017).

Comment vivez-vous cette année de confinement et de restrictions ?

Valentine Collet : Le plus difficile pour moi est de tenir sur la longueur et de continuer à nourrir des projets sur lesquels concentrer mon énergie, pour garder l’envie d’être proactive et pour ne pas me laisser aller. Quand je repense à l’année écoulée, je me souviens du premier choc, cruel certes, mais qui fit naître une énergie intense de survie. Passée la déception des premiers concerts annulés, la surprise initiale du confinement, la nouveauté de la situation créa beaucoup d’idées originales très intéressantes, de nouvelles formes de concerts et de partages musicaux qui aidèrent à surmonter le premier confinement. Après celui-ci, à la venue de l’été, l’espoir renaquit et j’ai pensé que notre sacrifice collectif avait porté ses fruits, que les choses allaient reprendre leur cours. Je me réjouissais des nombreux beaux projets qui allaient me permettre de reprendre le jeu avec plaisir. En début de saison, les autorités ont laissé entrevoir une ouverture, et je me souviens avec une vive satisfaction des mois de septembre et d’octobre, de la magie de pouvoir jouer à nouveau, de revoir les collègues et de se rendre compte à quel point tout cela nous avait manqué pendant ces quelques mois. De beaux projets prenaient à nouveau forme ; la saison s’annonçait magnifique. Puis arriva la seconde vague, avec la certitude que cette situation allait durer vraiment longtemps… bien plus longtemps que nous pouvions le croire. Maintenant, cela fait plus de six mois que nous ne pouvons plus jouer ensemble. L’incompréhension est grande : faire de la musique est notre passion et cela nous manque cruellement. A force que ces mauvaises conditions durent et ne s’améliorent pas, certains collègues baissent les bras et abandonnent peu à peu leur métier, ce qui fait vraiment de la peine. Cependant, autre facette de la réalité, de belles choses continuent à naître en dépit de toutes ces circonstances ; la communication entre collègues ne tarit pas, de même que l’entraide, le partage du ressenti, les échanges d’idées. L’OCF, mon orchestre, élabore par exemple encore et toujours des projets, même s’ils ne tiennent qu’à un fil.

Quels effets avez-vous constatés dans le cadre des activités d’enseignement ?

Au printemps passé, les cours à distance nous ont poussé à nous réinventer pédagogiquement, à revoir notre manière d’enseigner. Nous avons découvert une forme nouvelle de lien avec les élèves et apprivoisé les technologies à disposition. Les élèves ont davantage appris à travailler de manière indépendante, tandis que les professeurs ont dû se créer de nouveaux réflexes. Depuis septembre, malgré la reprise des cours en présentiel, on sent les répercussions sur les élèves : pas de concerts, pas de jeu devant le public – c’est comme si l’essence même de l’apprentissage de la musique avait disparu. La crise a fait baisser le nombre d’élèves pour tous les instruments et la promotion est difficile car nous ne pouvons pas agir comme auparavant par le biais de portes ouvertes festives. Pour nous, les professeurs, il fallait définir des buts (par exemple des répétitions de groupe, des enregistrements audio ou vidéo, etc.) pour contrer la baisse de motivation qui reste bien présente chez ces jeunes, orphelins de leurs activités musicales. Nous avons fait des projets et conçu des idées, mais tous avaient une résonance vide, un côté artificiel. Malgré tout, des projets entre élèves se créent et se transforment au fil de l’évolution de la situation. C’est magnifique d’observer une telle persévérance, une telle envie de vivre la musique !

Quels sont les projets que vous envisagez actuellement ?

Avec des collègues professeurs, nous avons créé cette année un collectif, Ventum, qui souhaite travailler à la promotion des instruments à vent auprès du jeune public. Notre premier projet est un conte participatif agrémenté d’extraits musicaux, écrit par Jacques Doutaz et récité par l’actrice Céline Cesa. Nous envisageons de donner ce spectacle dans le plus grand nombre d’écoles possible, dans le canton de Fribourg, et même au-delà, le bilinguisme fribourgeois nous permettant de passer par-dessus la frontière linguistique. Personnellement, je suis invitée à coacher les jeunes de l’Orchestre National des Jeunesses Musicales Suisses, en juillet 2021 à Charmey. Ce camp d’orchestre, qui existe depuis bientôt 30 ans, n’avait malheureusement pas pu avoir lieu l’an passé à cause de la crise sanitaire. Grâce à l’immense travail des deux nouveaux directeurs, il a pu reprendre cette année et je suis très heureuse de pouvoir y participer. Il est important de maintenir ces activités musicales locales, précieuses pour les jeunes musiciens qui constituent notre avenir, que ce soit en tant que professionnels en devenir ou comme futurs membres du public. Par ailleurs, je suis également membre d’un quintette de hautbois spécialisé dans la musique contemporaine, Many Many Oboes, qui joue des sept instruments de la famille du hautbois (musette, hautbois, hautbois d’amour, cor anglais, hautbois baryton, lupophone et hautbois baroque) et développe leur répertoire en commandant des œuvres auprès de compositeurs actuels – le répertoire pour cette formation étant quasiment inexistant. Nous avons dû annuler quelques dates et nous préparons les concerts à venir. Pour l’instant, c’est la première fois que mon agenda reste vide pour la saison prochaine ; le mystère demeure entier pour quelque temps encore. Nous verrons ce que nous réserve le futur, mais j’espère vivement pouvoir recommencer à échanger avec des musiciens à l’étranger et à participer à des projets fantastiques, comme je pouvais le faire jusqu’au début de 2020.

Laurent Mettraux

Sur cette page, vous trouverez également des témoignages sur vidéo de la manière dont des musiciennes et musiciens vivent le confinement :

https://smv.ch/fr/campagnes/cest-ainsi-que-nos-musiciens-vivent-le-lockdown-2/