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Grève féministe du 14 juin 2023

« Les droits des femmes sont toujours en danger. Soyez sur le qui-vive, attentives, combatives ; ne laissez pas passer un geste, un mot, une situation qui attente à votre dignité. La vôtre et celle de toutes les femmes. » (Gisèle Halimi, avocate et autrice)

Être femme musicienne dans le milieu si compétitif qu’est le monde artistique est doublement difficile en comparaison avec cette même situation chez un homme.

Scrutée, jugée

Premièrement, une femme sera continuellement scrutée et jugée. Ayant été victime de harcèlement, j’ai ainsi « expérimenté » à mon grand désarroi les nocifs jeux et abus de pouvoir, pouvoir que l’homme essaye de garder à tout prix sur la femme afin de bien signifier qu’elle ne pourra jamais devenir son égale. Cela est d’autant plus frappant lorsqu’on est une femme musicienne intermittente, où la vulnérabilité de l’emploi est présente et où l’employeur a le pouvoir de choisir, rejeter, favoriser ou nuire à une carrière. L’artiste est continuellement scrutée sur la longueur de sa jupe, la couleur de ses chaussures, la hauteur de ses talons et son joli minois (trop ou pas assez de maquillage, le volume de ses cheveux…), et se trouve souvent confrontée, sans être en mesure de pouvoir les dénoncer, à d’autres remarques et gestes sexistes beaucoup plus désagréables qui créent un climat nocif. Ainsi, refuser des avances ou dénoncer un abus de pouvoir s’avère toujours dangereux pour la suite de sa carrière, et ceci même cinq ans après #MeToo.

Lorsqu’on en est victime, et qu’en réalité la victime n’est jamais coupable, une honte injustifiée s’installe. En pensant avoir été faible à un moment donné pour « avoir laisser faire », le harcèlement nous dépossède de notre force et de notre pouvoir et nous laisse ahurie, sans voix, choquée, tétanisée et sans savoir comment réagir. Lucile Quillet, écrivaine et journaliste, explique très bien ce mécanisme : ne voulant surtout pas être « victime de harcèlement », le réflexe est de minimiser la situation en pensant qu’en la « tolérant », on dispose encore d’un certain pouvoir sur nous-même. C’est ainsi que le cerveau crée une stratégie qui ne peut malheureusement pas tenir sur le long terme, en se disant : « Ce n’est pas grave. Ce n’était pas intentionnel. Ce n’est pas la peine d’en faire toute une histoire… ». Il faut donc absolument commencer par reconnaître le harcèlement pour ce qu’il est afin de ne plus le subir. N’oublions jamais que le harcèlement ne résumera jamais ce que nous sommes, et n’annulera pas nos qualités. C’est une épreuve très difficile, mais qui n’empêche pas notre avenir… et il n’est que temporaire.

Chartes éthiques

Pour cela, j’encourage tous les organismes et lieux culturels à agir sur le terrain en affichant ostensiblement des chartes éthiques détaillées. Il serait souhaitable qu’elles deviennent des outils afin de faire prendre conscience des limites – différentes pour chacun·e – et de ce qui est acceptable ou non. Que toute forme de discrimination disparaisse en vue d’une égalité de traitement, qu’on prenne soin en priorité de la santé physique et mentale de chacun·e, l’empathie et la bienveillance devant être érigées en règle de vie. De plus, que la communication non-violente devienne une habitude, que les sentiments de chacun·e soient respectés et que chacun·e prenne conscience et déconstruise sa façon et ses habitudes de penser : « Qu’est-ce qui m’appartient en propre et fait sens avec ma réflexion ? En revanche, qu’est-ce que je répète sans réfléchir et que la société a pu insinuer en moi ? ». Ne plus mettre en doute les paroles d’une victime d’abus, quel qu’il soit, et enfin la croire, car elle a trop à perdre en parlant. Que l’on reconnaisse aussi que le rejet peut être tellement puissant qu’il peut directement amener à la dépression ; que la gentillesse soit considérée comme une qualité primordiale et non comme une faiblesse. En bref, il s’agit de valoriser l’égalité, la sécurité, le respect et l’épanouissement. Il serait judicieux aussi de voir figurer sur ces chartes une marche à suivre en cas d’abus, précisant qu’il faut faire appel en interne aux délégués du personnel ou au médecin du travail du canton, ainsi que, en externe, à l’inspection du travail du canton ou à votre syndicat USDAM-SMV. Tous ces services sont gratuits !

Sororité

Deuxièmement, une femme ne pourra pas compter sur le soutien de ses sœurs. Pourtant, il ne faut pas considérer la sororité comme une utopie naïve ! Même dans le milieu musical où la concurrence est féroce, je pense que la sororité peut exister et se révéler un véritable antidote puissant au sexisme, qui par nature divise pour mieux régner. Elle constitue un pouvoir, une pratique et une base solide pour grandir ensemble.

Malheureusement, le réflexe de toute minorité est de considérer ce qui nous ressemble comme la concurrence la plus directe. Il faut le reconnaître et ne pas reproduire ces fameux codes masculins (rire complaisamment aux blagues sexistes, par exemple) pour montrer « patte blanche » et tenter de s’élever, aux dépens des autres femmes, dans une hiérarchie influencée par des codes patriarcaux. Le mythe du          « crêpage de chignons » associé à la rivalité féminine est à déconstruire par la conscientisation et l’analyse des petits réflexes et des gestes du quotidien, et en regardant en face sa propre insécurité : il ne faut pas considérer les autres femmes comme des rivales, car elles peuvent au contraire se révéler des alliées ! Amina Sow parle d’une théorie de rayonnement : « Ce qui bénéficie à une femme bénéficie aussi aux autres indirectement. » Ainsi, critiquer une femme, c’est se critiquer soi-même ; saborder le travail d’une autre musicienne, c’est fragiliser sa propre place.

Dans le milieu musical, partager son expérience en faisant par exemple du « mentorat » est une action magnifique et autrement plus pertinente que de laisser la nouvelle arrivée « en baver, comme moi à  l’époque » . La sororité va permettre d’affronter les inégalités et le sexisme, de décider ensemble d’agir et d’œuvrer pour la parité.

Enfin, comme je le mentionnais plus haut, le milieu musical est doublement difficile pour une femme musicienne, tant par les abus de pouvoir qu’elle subit que par le manque de soutien entre femmes. Les hommes ne seront jamais jugés sur la longueur de leur jean, et la solidarité masculine a toujours été très puissante. Faire bloc, s’unir, se soutenir, s’écouter et se conseiller, tout ce pouvoir est entre nos mains ! Le texte de l’écrivaine Chloé Delaume résume bien tout cela : « La sororité est une attitude. Ne jamais nuire volontairement à une femme. Ne jamais critiquer publiquement une femme, ne jamais provoquer de mépris envers une femme. La sororité est incluante, sans hiérarchie ni droit d’aînesse. La sororité est comme une éthique de vie. »

Faisons qu’elle soit présente dans tous les cœurs des femmes ce 14 juin 2023 !

Muriel Noble, coprésidente USDAM – SMV, violoniste OSR