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Infarctus culturel menace des concertos pour basson !

Il y a quelques années, j’ai fait la connaissance (plutôt par hasard, lors de la visite d’un malade) de mon collègue, occupant un poste identique au mien, le basson solo de l’Orchestra della Svizzera Italiana et, comme il s’est avéré que nous étions cousins (quoique à un degré éloigné) nous sommes restés en contact. Après sa mise à la retraite, j’ai régulièrement reçu des enregistrements d’admirables, quoique inconnus, concertos pour basson du 20ème siècle qui avaient été enregistrés avec son orchestre. C’était encore une époque, me fais-je comme réflexion, la radio en plein centre de la création contemporaine. Quelle diversité dans le travail était alors accordée grâce aux contributions publiques légales. Mais, c’était autrefois, bientôt la radio suisse aura dans l’ensemble supprimé tout soutien et se sera également retirée de son dernier corps de résonance, l’OSI. En Allemagne, le SWR-Sinfonie-Orchester, le plus hautement qualifié en musique contemporaine, fera bientôt partie de l’histoire.

Inéluctablement, il nous vient à l’esprit « l’infarctus culturel » des quatre spécialistes de la culture, Haselbach, Klein, Knüsel et Opitz, apparu récemment et qui n’a pas manqué de faire sensation. Est-ce cela que le quatuor a en vue ? Supprimer l’apport d’oxygène aux institutions « élitaires », les mener à « l’infarctus », à la mort ?

Ces messieurs n’ont pas tout tort : pratiquement personne n’accorde d’intérêt aux concertos pour basson du 20ème siècle et, de toute façon, seule également une petite minorité d’individus s’intéresse à la musique classique, à l’art, aux musées, au théâtre. Sur ce point, même la large promotion publique de ces dernières décennies effectuée pour la culture n’a rien pu changer. Malgré l’offre toujours croissante, la réduction des prix et un engagement renforcé dans l’entremise de la culture, le plus gros de la masse humaine ne se laisse pas éduquer au sens de l’esthétique. Que cette éducation soit laissée de côté, les citoyens sont libres et décident eux-mêmes « jusqu’où ils veulent s’aventurer dans le domaine culturel ». L’aide à la culture, par contre, fausse le marché de la culture et empêche l’éclosion de nouvelles formes d’expression culturelle. La question est lancée : pourquoi, alors que tous les secteurs de l’existence vivent aujourd’hui une mutation fondamentale et doivent s’adapter à de nouvelles conditions, seul le béotisme des subventions culturelles croit-il pouvoir s’y soustraire ?

Par la durée de la lecture de ce pamphlet – peut-être justement, par ce fait, non insignifiant – on gagne, avant tout, la prise de conscience que la manière actuelle d’aider la culture, avec toutes les critiques justifiées (et les moyens manquants), semble bien être, malgré tout, la meilleure possible en ce moment.

On réalise aussi que le fait de tenir fermement au « canon de formation bourgeois » en tant que bien méritoire (donc à soutenir) est bien de signification centrale dans notre société actuelle, rapide, et toujours plus confuse. Il s’agit presque d’un ancrage au milieu de la tourmente, d’un point d’orientation auquel on ne peut renoncer et qui n’ose pas être jeté négligemment par-dessus bord.

On reconnaît également que l’éclatement socioculturel, la culture laïque, la fantaisie digitale, les hautes écoles d’art en alliance avec les producteurs ou la privatisation d’instituts culturels – signifions bien, sans filtrage de qualité imposé, mais par contre soumis aux règles du marché – ne pourront probablement pas remplacer ce qui a été liquidé auparavant par ce qui mène à « l’infarctus ».

De plus, on note que le grand art peut (ne doit pas) être complexe et qu’une éducation esthétique est tout de même nécessaire, si l’on ne veut pas a priori rendre impossible à la plupart des gens la découverte et l’expérience d’un art difficile. Pourquoi, par exemple, l’aide à la culture ne se laisserait-elle pas inspirer par « El Sistema » vénézuelien (où chaque enfant, dès son jeune âge, apprend à jouer d’un instrument dans un orchestre) et n’opposerait-elle pas à nouveau la lenteur consciente d’un certain type de capacités artistiques et manuelles à l’actuelle société de gigahertz, de megapixel et de téraoctets ?

Et finalement, on prend conscience qu’une infinité de sous-produits comme, par exemple, les précités et magnifiques concertos pour basson du 20ème siècle n’existerait probablement plus sous des conditions uniquement marchandes et que ceci – vu également les nombreuses autres choses tout aussi inutiles qui cependant nécessitent l’argent des impôts à des montants multipliés – serait dommage et irresponsable.

Urs Dengler, membre du comité central de l’USDAM