Un commentaire de Johannes Knapp
On constate aujourd’hui une grande inquiétude face à l’obligation de faire des économies des pouvoirs publics, à laquelle n’échappe pas le domaine de la culture. Le frein à l’endettement est devenu un mot magique. Un article constitutionnel existe à cet effet depuis 2002, accepté avec 85 % de votes favorables, sachant pourtant quels dangers nous guettent lorsque les pouvoirs publiques se trouvent déstabilisés.
Quelles que soient les raisons qui parlent pour ou contre le frein à l’endettement – il n’y a rien à ajouter contre des bilans équilibrés. Personne n’aime écrire des chiffres rouges. Si toutefois on applique le stylo rouge à la culture, comme à Bienne récemment, on devient rapidement conscient de ce que représente concrètement la mise en pratique de cette realpolitik. Elle est destructrice et en même temps dérangeante. Elle provoque de l’indignation. D’autres adoptent une attitude défensive, ou encore se retirent, résignés. Peut-être en tire-t-on la conclusion précipitée que notre civilisation avancée et riche en tradition ne peut plus faire face aux rapides changements qui s’abattent sur notre vie, notre société et nos valeurs. Le classique en crise – de telles allitérations plaintives hantent les diagnostiques de la prétendue régression de notre culture musicale.
Lorsque nous cherchons d’où viennent les « restrictions budgétaires », nous entrons dans le domaine où règnent les instigateurs des mesures d’austérité biennoises plutôt que d’avoir une position de défense et de légitimation devenue par trop confortable. C’est quasiment une redistribution des rôles : ce sont les fonctionnaires de la ville qui soumettent aux acteurs culturels professionnels des propositions d’économies « considérées comme acceptables » – comme par exemple le démantèlement de l’orchestre symphonique. Et en retour lesdits professionnels soumettent la politique d’économie de la ville de Bienne à un examen critique complet. Nous ne nous permettons pas d’avancer que les instruments en question nous sont familiers jusque dans les moindres détails, mais nous ne pouvons accepter, en notre âme et conscience, que l’interprétation présente du rapport soit « considérée comme acceptable ».
Depuis 2014 les cinq membres du Conseil municipal, l’organe chargé de la gestion des finances conformément à l’article 71 de la loi cantonale sur les communes, ont travaillé au projet susmentionné sous la direction d’un expert externe. Il a de suite été constaté que Bienne se dirigeait vers un déficit budgétaire, en particulier dû à une baisse des revenus fiscaux au niveau des recettes, que l’on pense pouvoir rattraper par une hausse des impôts de deux dixièmes. Du côté des dépenses, de gros investissements dans des projets urbanistiques de prestige : Tissot Arena, Beau-Rivage, Île de la Suze, Esplanade et Agglolac.
Les restrictions budgétaires ne devraient certes pas stopper une telle politique d’investissement, souligne le Conseil municipal. Toutefois, il faut considérer qu’« une restriction trop importante des investissements durant une période prolongée engendrerait un blocage des investissements ». Pour cette raison le volume des investissements doit être augmenté à environ 40 millions, cette augmentation ne pouvant avoir lieu que « si l’on maîtrise par ailleurs les dépenses ».
Mais comment peut-on « maîtriser par ailleurs les dépenses » ? Les directions des divers départements devaient préparer des scénarios permettant d’envisager comment il serait possible de renoncer à respectivement 10 % ou 20 % des moyens par domaine, le Conseil municipal affirmant certes ne pas pouvoir procéder à des coupes linéaires et donc qu’un plan d’austérité nécessiterait une « série de mesures équilibrées ». Cette approche se traduit par une application sélective du principe du coup de rabot (coupe à l’aveugle sans tenir compte des besoins effectifs couverts par les subventions), sélective dans la mesure où certains domaines sont épargnés par les coupes et que deux ‘longueurs’, 10 % ou 20 %, sont à disposition. (Enfin, chaque rabot a deux niveaux de coupe, standard et fin). Cette sorte de rabotage a l’avantage d’économiser du temps et de se protéger des reproches qu’on aurait cédé à la facilité.
Les 360’000 CHF que l’on croit pouvoir épargner en supprimant l’OSBS représentent environ 10 % des subventions annuelles que la ville de Bienne octroie au TOBS. À la fin de 2011 cette part des subventions a été négociée lors de la création du TOBS. (On pense que les autres partenaires du contrat de prestations – la ville de Soleure, le canton de Berne et la région Bienne Seeland – ne font pas grand cas de cette suppression de l’orchestre). Face au déficit de l’orchestre il y a quatre ans, le Conseil municipal a décidé la fusion du Théâtre Bienne Soleure avec l’Orchestre Symphonique de Bienne créé en 1969, pour fonder l’actuel TOBS. Les pouvoirs publics avaient alors investi environ 1.7 millions de francs dans la restructuration. Et maintenant, alors que la nouvelle institution s’est établie avec succès, on veut supprimer l’orchestre ? « Augmentation de l’efficacité » est un des mots-clé du rapport du Conseil municipal – cette « Mesure 4.2 » est définitivement inefficace, parce qu’elle ne changerait pour ainsi dire rien à la situation financière de Bienne, les projets d’investissement entraînant souvent avec eux des coûts supplémentaires imprévisibles.
Un « orchestre de projet », sous quelque forme que ce soit, ne pourra jamais remplacer l’orchestre professionnel actuel. Un ensemble constitué possède une identité propre, qu’un orchestre composite ne peut jamais atteindre. Les membres de l’OSBS se connaissent et travaillent ensemble comme une équipe professionnelle chevronnée. Chacun connaît la manière de jouer des autres, sa sonorité, sa sensibilité musicale, sa manière de gérer les difficultés d’intonation. Tout cela est indispensable dans la recherche commune d’une identité sonore. Engager un groupe de musiciens pour chaque projet signifierait recommencer à zéro et fournir un travail fastidieux, durant lequel il serait principalement question de technique. Quel cadeau pour le public ! Ainsi « l’austérité » semble n’être qu’un concept « écran de fumée » pour les velléités de réallocation des décideurs. Cette façon de faire n’est pas nouvelle, mais c’est à nouveau jeter de l’huile sur le feu de l’indignation.
Texte et contexte de la proposition de démantèlement de l’orchestre
Vendredi 13 mars 2015. Le Conseil municipal biennois rend publique son catalogue de mesures pour « un assainissement durable des finances communales ». D’ici à 2018, et en diverses étapes, le gouvernement aimerait économiser environ 15 millions par année, afin de compenser un déficit budgétaire structurel prévu de 42.6 millions. Aux recettes réduites, en particulier les rentrées « impôts », s’opposent des dépenses dans les domaines les plus divers. Selon les dires du Conseil municipal, du côté des dépenses c’est environ un quart du déficit attendu qui va devoir être réduit, à court ou moyen terme, dans les domaines de la formation, de la culture, des loisirs et des sports, mais aussi dans ceux, publics, de la sécurité sociale et de l’environnement – le Conseil municipal parlant dans ce contexte de « symétrie des sacrifices ». Du côté des rentrées, une augmentation du système d’imposition est proposée – impôt de base et taxes diverses.
Six semaines séparent la publication du paquet de mesures et la séance décisive du Conseil de ville. En effet, le 22 avril le législatif doit se prononcer sur le lourd paquet de mesures proposées pour savoir, grosso modo, si le projet de nouvelle bibliothèque de la ville dès 2018 sur le nouveau campus de la Haute École de Berne devrait être interrompu. Dans le document de 85 pages, le Conseil municipal lui-même émet des doutes quant au « risque de mainmise sur la bibliothèque pas la HESB au détriment de l’aspect de sa vocation de ‘bibliothèque publique’ ». Une autre mesure prévoit une fermeture partielle du Nouveau Musée de Bienne (NMB) – pour n’en nommer que quelques unes.
Contre l’Orchestre Symphonique de Bienne Soleure est dirigée la « Mesure 4.2 ». L’énoncé de la proposition : « TOBS, orchestre de projet au lieu d’un orchestre professionnel : un orchestre de projet engageant des musiciennes et musiciens différents, en fonction des projets,permettrait de maintenir l’offre existante tout en réalisant des économies. Notons encore qu’un orchestre de projet coûte certes moins cher qu’un orchestre professionnel mais n’a pas la qualité sonore de ce dernier. L’abandon de l’orchestre professionnel doit être négocié avec les divers partenaires. Cette mesure soulèvera des réactions médiatiques dans tout le pays, entraînera des discussions avec les associations professionnelles, et nuira probablement à l’image de la ville. Cet abandon s’accompagne de la disparition de places de stagiaires, car la qualité d’un orchestre de projet ne peut plus satisfaire aux exigences d’une haute école en la matière. Globalement, cet abandon est lié à la perte d’environ 50 places de travail fixes. Le Conseil municipal est toutefois d’avis que cette mesure doit être mise en œuvre, étant donné qu’elle ne constitue pas une réduction des prestations offertes à la population. »
De cette manière – comment précisément, cela reste ouvert – 360’000 CHF doivent être économisés annuellement. Malgré les déclarations contraires ainsi que des doutes notoires de l’instigateur des phrases citées, cette mesure a atterri dans le « pot A ». C’est à celui-ci que « le Conseil municipal […] a attribué les mesures dont les répercussions sur la population et la qualité du site sont acceptables politiquement ». (Le « pot B » contient les mesures que le Conseil municipal tient pour intolérables.) Dans cette affaire, le peuple a le dernier mot, tout au moins si le parlement – malgré l’énorme vague de protestation et contre tous les appels au bon sens – vient à voter la suppression de l’orchestre professionnel.
Traduction : Jérémie Wenger