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Formation ou exploitation ?

de Johannes Knapp

La production en plein air de l’opéra Aida de Verdi au bord du lac de Pfäffikon a eu lieu en août dernier. Le débat au sujet d’un salaire décent pour les musiciennes et musiciens n’est pas clos pour autant.

Il s’agissait d’un événement où chaque spectateur devait se sentir comme un VIP. « C’est la raison pour laquelle tout doit être de première classe, de la production à la location et à la gastronomie, jusqu’à la présence des sponsors. » Voilà ce que revendiquent les organisateurs, selon le directeur George Egloff. Que cet ancien CEO de Ticketcorner travaille de manière professionnelle, il n’y a certes pas à en douter. En feuilletant le livret, riche en images publicitaires, on s’aperçoit vite qu’une pensée entrepreneuriale a prévalu avant tout. On y trouve peu de mots au sujet de la musique ; ne serait-elle finalement juste que l’accompagnement d’un coûteux spectacle scénique ? Et sur quoi se base le sens et le succès d’une telle manifestation ? Egloff, intiateur du festival, répond explicitement : chaque spectateur devrait pouvoir dire qu’il avait assisté à « quelque chose de qualité supérieure ». Sur le site du management d’Egloff on trouve effectivement sa recette pour arriver au succès : mettre en pratique des connaissances entrepreneuriales lucratives, trouver de nouvelles sources de financement et économiser sur les coûts. En ce qui concerne ces économies, c’est auprès des musiciens d’orchestre qu’elles ont été réalisées, comme cela a été rendu public depuis peu dans les médias. Et cela massivement : il était prévu de verser, selon le contrat, 130 CHF pour une représentation et 80 CHF pour une répétition, mais 30% de ces honoraires étaient retenus comme compensation pour l’hébergement et l’habillement. Ce qui représente donc un salaire brut de 91 CHF pour une représentation et 56 CHF pour une répétition. Le contrat stipule par ailleurs que les risques en cas de mauvais temps seraient reportés sur les musiciens : « aucun honoraire n’est versé pour une représentation annulée par email ou SMS au moins quatre heures avant le début de la représentation. » – ce qui est tout simplement illicite. Suit un passage un peu mystérieux : « En cas de représentations annulées et non remplacées, nous procéderons ultérieurement à une rémunération proportionnelle des participants concernés dans le cadre des honoraires budgétés pour cela. » En outre : « Pour ce projet, en principe aucun frais de déplacement ne peut malheureusement être pris en charge. » Ce qui est indécent quand on pense que quelques musiciens ont dû parcourir chaque jour de longs trajets.

C’est l’Orchestre Symphonique de Zurich (SOZ) qui a accepté de jouer pour cette production ; son coordinateur artistique Werner Schmitt a conclu un contrat forfaitaire avec le Festival La Perla SA, au sujet duquel un silence total règne de la part des deux parties contractantes. Le SOZ peut compter sur un réseau de plus de 150 musiciens. Beaucoup de musiciens professionnels (la plupart indépendants) ayant été contactés en premier ont refusé à cause des conditions, ce qui fait que des remplacements ont dû être organisés jusqu’à peu avant le début des répétitions, fin juillet, pour de nombreux groupes d’instruments. L’orchestre était tout simplement fait de bric et de broc, comme un musicien l’a laconiquement décrit. En ce qui concerne les musiciens sur scène (« Banda sul palco ») au deuxième et quatrième acte, on a tout simplement supprimé des passages où ils interviennent en entier ! Au moins ont-ils été remplacés dans la fosse par des cuivres, en partie du moins. En outre, à la place des longues trompettes habituellement utilisées pour Aida, on pouvait entendre d’innommables trompettes de fanfare, en partie mal accordées.

Un musicien a accepté d’aborder le sujet des conditions météorologiques – un thème récurrent lors des festivals de plein air. « Deux jours après la répétition générale publique, après la deuxième représentation, il y avait toujours quelques centimètres d’eau dans la fosse d’orchestre. Ce n’est pas normal ! » Une organisation défaillante s’ajoute donc aux honoraires dérisoires. Lors d’une interview à la SSR et lors d’un entretien avec le secrétariat de l’USDAM, M. Schmitt a justifié ces cachets par le fait que cette production d’Aida était un projet unique en son genre, en ce qu’il offrirait la possibilité à de jeunes musiciens de réaliser de précieuses expériences dans le domaine de l’opéra. A la question de savoir ce qu’on devait comprendre de cette déclaration, presque aucun musicien de l’orchestre n’a voulu répondre. En général ils restaient très réservés, ce qui est facile à comprendre : la peur est trop grande de ne plus être repris. « Nous ne nous connaissons pas encore vraiment. Nous préférons donc éviter de nous moquer du management. » Schmitt promet aux musiciens un certificat attestant de leur participation au projet, ce qui favoriserait les jeunes musiciens lors de concours d’orchestre. Dans la réalité, un tel document est presque aussi utile pour les très sélectifs concours d’orchestre qu’une attestation de la capacité de nager pour obtenir une qualification aux jeux olympiques – ce que ne manque certainement pas de savoir M. Schmitt, lui-même violoncelliste et ancien directeur du Conservatoire de Berne. Cela mis à part, l’argument selon lequel il s’agirait d’un concept de formation ne tient pas la route, car ni professeurs ni management spécifique pour la formation ne sont à disposition. De plus, il n’a jamais été dit que ce projet devait être compris comme une sorte d’académie.

Il ne fait aucun doute qu’interpréter un opéra est une expérience d’une valeur inappréciable pour des jeunes musiciens, et tant leur idéalisme sans routine que leur endurance sont réjouissants. Cependant l’USDAM part du principe (voir les communiqués de presse sur www.smv.ch) qu’un défraiement équitable, respectant au moins les tarifs minimaux de l’USDAM, aurait été tout à fait possible au vu du budget de La-Perla. Ainsi, l’USDAM déplore les circonstances déjà signalées à plusieurs reprises dans les médias et s’engage comme toujours en faveur de conditions de travail adéquates et de salaires permettant de subvenir aux besoins, pour les musiciennes et musiciens tant employés qu’indépendants.

Ceci est un résumé du texte complet en allemand de Johannes Knapp que vous pouvez trouver sur la page http://smv.ch/ausbildung-oder-ausbeutung/