– 5 juin 2023 (Revue Musicale Suisse)
Violoniste freelance, Marion Devaud est principalement engagée à l’OSR, régulièrement depuis 2005, mais également au Sinfonietta de Lausanne. Elle enseigne, et joue aussi d’autres types de musique dans des groupes tels que l’Ensemble Artefact et Dear Deër. Elle monte actuellement sa plateforme de concerts privés et musique pour l’événementiel qui s’intitulera Neon.
Comme indépendante et supplémentaire dans des orchestres, quels sont les problèmes spécifiques que peut rencontrer une femme ?
En premier lieu, il faut mentionner qu’en tant que « freelance », nous sommes soumis aux mêmes conditions de stress, qu’on soit femme ou homme : le taux d’adrénaline est particulièrement élevé en cas de remplacement au pied levé, et les aléas de la vie (maladie ou autres) nous touchent toutes et tous. La pandémie de covid a également été particulièrement éprouvante, mettant à jour les problèmes auxquels les musiciennes et musiciens indépendants sont confrontés – à titre personnel, cela a augmenté mon niveau d’angoisse et de craintes.
Pour ce qui est des spécificités dues au genre, le sujet des femmes enceintes dans le cadre d’un orchestre (ou tout autre endroit bruyant) commence à être prise en compte selon l’Ordonnance de la protection de la maternité de la Loi du Travail , car on s’interroge sur les dommages causés par une trop grande intensité sonore prolongée sur la mère et son fœtus. Dans l’attente des résultats de son analyse de risques faite par le bureau du médecin cantonal et inspection du travail , l’OSR a dû prendre des mesures de précaution et n’engage plus les femmes enceintes dès le premier jour de la grossesse. En cas d’interdiction de travail dans ce contexte, les musiciennes titulaires conservent leur salaire, mais cela n’est pas le cas pour les freelances qui se retrouvent ainsi précarisées. Il y a aussi la peur de sortir des réseaux de travail en cas d’absence prolongée : il faudrait donc trouver une solution afin qu’elles ne se trouvent pas prétéritées ; pour l’instant, des discussions au niveau syndical sont en cours.
Et enfin, évidemment, la musique ne faisant pas exception aux autres domaines, en tant que femmes nous ne sommes pas à l’abri et sommes plus exposées aux rapports de pouvoir que les hommes.
As-tu déjà rencontré des difficultés liées à des jeux de pouvoir ou à du sexisme ?
Je n’ai pas eu directement affaire à des problèmes de ce genre, mais je suis bien consciente qu’ils existent, parfois à un niveau subtil. De manière générale, en tant que femme, on aimerait pouvoir être appréciée pour notre travail de musicienne, et non pour des raisons extérieures, être jugée sur nos compétences et non sur notre façon de s’habiller ou sur notre aspect physique. Mais pouvons-nous être certaines des raisons pour lesquelles nous sommes ou non choisies ? Quoi qu’il en soit, je trouve important de respecter la sensibilité de chacun et d’ajuster son comportement en conséquence. Les jeunes générations sont plus alertes à ce sujet, et cela me donne de l’espoir.
Comment considères-tu la place des femmes au sein des orchestres ?
La phase du concours d’orchestre qui se déroule derrière un rideau assure une meilleure égalité des chances. Dans les orchestres, la parité est assez bien représentée dans les cordes, surtout chez les violonistes, bien que les postes clés soient encore souvent confiés à des hommes – pour obtenir un poste à responsabilité, la femme doit souvent être surqualifiée, être encore meilleure pour être considérée comme crédible. Les cuivres et la percussion restent des pupitres largement masculinisés, et a contrario la harpe très féminisée. D’autres sphères de la musique se trouvent encore loin de la parité : composition, direction d’orchestre, mais aussi d’autres styles musicaux comme le rock. Il ne s’agit pas de manque d’intérêt ou d’aptitude, mais de codes sociaux acquis par les enfants dès le jeune âge, et des injonctions qui veulent que les hommes soient entreprenants et forts, et les femmes gracieuses et plutôt à l’écoute – différences présentées comme des évidences définitives et servant à légitimer privilèges et discriminations. Ces préjugés archaïques se retrouvent donc encore dans certains choix d’instruments, certains étant considérés comme virils et d’autres comme féminins. Pour l’anecdote : au 19e siècle par exemple, on déconseillait aux femmes de jouer d’un instrument à vent sous prétexte que leur visage en deviendrait moins gracieux. Là aussi, je pense que la phase actuelle de déconstruction du système patriarcal rendra l’avenir meilleur.
Ressens-tu les femmes comme plus exigeantes entre elles ou plutôt enclines à la solidarité ?
Dans le métier que nous exerçons, nous sommes obligées d’être très exigeantes envers nous-mêmes, et de facto les unes envers les autres. Je peux imaginer qu’il existe des situations difficiles qui exacerbent l’ambiance compétitive qui existe déjà dans le milieu musical lorsque l’on fait des remplacements : c’est un métier magnifique mais exigeant, et il est facile de sentir sa place menacée dans cette course à la perfection, spécialement quand on a une « vraie place » nulle part. Pour ce qui est de la solidarité, tout dépend des personnes et des orchestres, suivant le vécu individuel. En ce qui me concerne, j’ai de la chance de connaître un bon soutien d’autres musiciennes supplémentaires avec lesquelles je peux partager mes impressions. Dans d’autres domaines, j’ai également l’avantage d’être entourée de femmes exceptionnelles, généreuses et bienveillantes, de vrais modèles qui me donnent plus de force. Quel que soit le métier, nous gagnerions toutes à pratiquer l’entraide et la bienveillance, on peut mieux se faire une place si on reste solidaire.
Marion Devaud (Photo: DR)