Réflexions juridiques au sujet d’une phrase entendue de manière répétitive
Le scénario décrit ci-après pourrait sembler connu à de nombreux musiciens et musiciennes, et surtout aux artistes intermittents : au terme d’une répétition (par exemple pour un service religieux), l’orchestre ad hoc, constitué de musiciens et de musiciennes professionnels, est informé que la production du lendemain sera enregistrée. Quelqu’un de l’orchestre signale que l’on ne peut pas simplement en informer les musiciens et les musiciennes, mais qu’il est un devoir de demander l’autorisation pour effectuer un enregistrement. De la part du chœur, il est répondu qu’il s’agit uniquement d’un enregistrement interne destiné à un usage propre et, au sein de l’orchestre, les points de vue sont divergents. Le chef et le chœur déclarent qu’ils ne savaient pas qu’une autorisation d’enregistrement devait être demandée préalablement aux musiciens et aux musiciennes d’orchestre. Lors du raccord, plusieurs microphones sont installés et reliés à un appareil d’enregistrement situé dans un local adjacent. Il s’avère que, dans l’ensemble, trois productions doivent être enregistrées, le point de vue étant toujours défendu que les enregistrements servent uniquement à un usage interne du chœur, donc à un usage propre, et sont de ce fait autorisés. Ayant dernièrement à nouveau entendu parler d’une situation similaire, il me paraît sensé de considérer les arguments apportés de plus près et de clarifier la question selon un procédé correct.
Selon la loi sur les droits d’auteur LDA, l’artiste en activité a, entre autres, le droit exclusif d’enregistrer sa production ou la réalisation de celle-ci sur bande sonore, sur bande audio-visuelle ou sur banque de données, et de copier de tels enregistrements et de les offrir en exemplaires copiés, de les publier ou de les propager de quelque manière. Sans l’assentiment de l’interprète, la production de celui ou de celle-ci n’a pas le droit d’être enregistrée. Il peut interdire le premier enregistrement, comme les copies suivantes, et exiger la restriction du nombre de celles-ci. Le droit d’enregistrement et le droit de copie sont clairement séparés.
Les artistes exécutants qui autorisent l’enregistrement de leur production n’accordent pas automatiquement le droit de copier cet enregistrement. L’interprète a également un droit indépendant de s’opposer à la propagation de bandes enregistrées sans son autorisation. Selon le type d’utilisation du premier enregistrement, d’autres droits de protection de prestation sont éventuellement à prendre en considération. Le cas échéant, il peut tout d’abord être contrôlé à quelle utilisation doit être destiné l’enregistrement. De telles utilisations ultérieures devraient également être autorisées par les musiciens et les musiciennes.
Dans le cas de l’utilisation propre précitée, il s’agit d’une définition des limites du droit d’auteur qui, dans des conditions déterminées, minimise l’utilisation d’œuvres présentées au public et autorise même celle-ci, sans avoir consulté les personnes y ayant droit et sans versement d’une quelconque rémunération. Dans ce cas, seule l’utilisation privée, selon l’art.19, al.1, lit.a, LDA, rentre en ligne de compte, où toute utilisation de l’œuvre dans un cercle personnel et au sein d’un cercle de personnes étroitement liées, tels que parents ou amis, est autorisée. Hors de ce cadre, l’art.19, al.3, lit.b, LDA, interdit l’enregistrement de conférences, de présentations, ou de représentations d’une œuvre sur bande sonore, sur bande audio-visuelle ou sur banque de données. Le secteur privé n’est pas lié à un endroit précis, mais au contexte social de l’événement, ce qui toutefois ne signifie pas qu’il peut être étendu à bien plaire à des événements qui, bien que personnels, sont prévus dans un contexte public. Au cercle de personnes étroitement liées entre elles appartiennent, outre la famille, uniquement les personnes qui ont un lien amical vraiment personnel et de longue durée. Des relations justifiées mais se situant dans un contexte hors du privé ne suffisent pas. Non seulement le type de relation, mais aussi le nombre de participants peut être déterminant pour définir le caractère privé. Il faut tenir compte que l’interdiction d’enregistrement citée est aussi valable pour des privés qui réalisent des enregistrements lors de manifestations publiques pour un usage privé ultérieur, en étant conscients qu’ils agissent dans un contexte social non privé. Grâce à cette loi, le risque de propagation illégitime et la défense des intérêts contre la disponibilité durable d’enregistrements non autorisés de concerts sont pris en considération.
En raison des lois et des arguments précités, l’enregistrement d’une production dans le cadre d’un service religieux ou à l’occasion d’un concert annuel du chœur ne peut pas être justifié par le caractère de propre usage, l’enregistrement ayant lieu dans un cadre public. Même si l’on voulait suivre l’idée qu’un enregistrement destiné à un usage personnel ou à l’utilisation dans un cadre de personnes proches serait autorisé, la production de copies internes au chœur, à un nombre estimé de 40 à 50 choristes, ne pourrait plus être justifiée comme usage propre. Les musiciens et les musiciennes de l’orchestre ont le droit de décider tout d’abord, si un enregistrement s’ensuivra ou pas. Avec leur accord pour un enregistrement, ils ne donnent pas automatiquement l’autorisation à la réalisation d’une copie de celui-ci ou à une autre utilisation. Il est approprié, lors d’un accord pour un enregistrement, de fixer également le cadre d’autres utilisations. Un organisateur ne peut éviter de demander l’autorisation pour effectuer un enregistrement planifié ainsi que pour utiliser celui-ci à d’autres fins. Cette autorisation doit être donnée par chaque participant, pour autant qu’aucun et aucune artiste n’ait été désignés pour représenter la décision du groupe. Même si un accord peut être donné après coup, il est tout de même conseillé de le demander préalablement, au mieux conjointement à l’accord d’engagement. Un tel accord ne doit pas obligatoirement être lié à un dédommagement financier auquel il peut être renoncé, selon la situation.
Une autre question se présente : les musiciens et les musiciennes d’orchestre doivent-ils faire valoir les droits précités eux-mêmes, ou cela peut (doit)-il être effectué par une société d’exploitation ou par autre organisation professionnelle ? Avant de connaître précisément dans quels buts vont être utilisés les représentations ou les enregistrements de celles-ci, il ne peut être décidé de manière définitive si un droit d’exploitation s’impose de manière évidente.
Si ceci n’est pas le cas, l’artiste peut en principe faire valoir lui-même/elle-même ses droits d’interprète. Lors d’engagements d’orchestres professionnels suisses par des chœurs amateurs ayant pour but la représentation et l’enregistrement de leurs concerts chorals, les accords concernant ces éventuels enregistrements sont en général conclus pour l’orchestre par la Coopérative Suisse des Interprètes SIG. Pour les formations ad hoc, la SIG reste à l’arrière-plan et conseille aux musiciens et aux musiciennes de se soucier personnellement de leurs droits de protection de prestation, afin de ne pas occasionner un investissement administratif supplémentaire pour de tels projets de modeste importance. Si la SIG doit se soucier d’une redevance pour des enregistrements, elle convient des accords différenciés, adaptés de cas en cas. Il ne s’agit alors pas de tarifs fixes qui sont établis dans un règlement ou dans ordre tarifaire, mais d’accords négociés entre la SIG, les orchestres professionnels et les employeurs, selon le type d’enregistrement et d’utilisation des copies des bandes enregistrées.
David Acklin, membre du comité central de l’USDAM