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Panorama du droit suisse des contrats de concert (4e partie)

Anne Meier

Le musicien indépendant : un entrepreneur

Lorsque le musicien n’est pas un travailleur, il est un indépendant. Son contrat est alors régi par les règles du contrat d’entreprise (articles 363 et suivants du Code des obligations).

Dans la catégorie des musiciens indépendants, on trouve notamment : le soliste engagé pour jouer un concerto, le musicien engagé pour donner un récital solo, les ensembles de musique de chambre et les groupes de musique « moderne » (groupes de rock, de jazz, etc.). Par le contrat d’entreprise, une des parties (l’entrepreneur) s’oblige à exécuter un ouvrage, moyennant un prix que l’autre partie (le maître d’ouvrage) s’engage à lui payer.

Quelles sont mes obligations en tant que musicien indépendant ?

– Exécuter le programme musical convenu, à l’heure et au lieu stipulés, avec les qualités techniques et artistiques promises. Cette obligation implique notamment celle de se préparer de manière adéquate au concert, que ce soit au niveau artistique, technique ou au niveau de l’organisation – notamment, lorsque c’est nécessaire, l’artiste doit se procurer les instruments et le matériel nécessaire, de même que les autorisations douanières et le visa d’entrée dans le pays. Le contrat peut prévoir d’autres dispositions.
– Prendre en charge mes propres cotisations AVS, AI et APG ; affiliation obligatoire à une caisse de compensation pour allocations familiales. Possibilité de s’affilier, de manière facultative, à une caisse de prévoyance professionnelle.
– Si j’engage les musiciens qui font partie de mon groupe en tant que « sidemen » – c’est-à-dire que je peux leur donner des instructions au niveau artistique, que je garde la maîtrise du choix du répertoire et des engagements du groupe, je suis leur employeur. Je dois donc assumer les responsabilités de l’employeur, telles qu’elles ont été décrites ci-dessus.

Quels sont mes droits en tant que musicien indépendant ?
– Droit au paiement du cachet convenu à la date convenue.
– L’organisateur du concert peut s’engager, par contrat, à effectuer d’autres prestations, par exemple celle d’effectuer la publicité pour le concert, de louer la salle de concert, d’assurer la billetterie ou encore de fournir un service de sécurité.

Pourquoi il faudrait toujours signer un contrat !

Le droit du travail comprend de nombreuses règles impératives qui protègent le musicien. Ce n’est pas le cas dans le cadre du contrat d’entreprise. Le Code des obligations fournit des règles « par défaut », qui s’appliquent si les parties n’ont pas prévu autre chose. Ces règles ne sont pas toujours adaptées aux contrats d’engagement de musiciens et peuvent créer des incertitudes.

– L’organisateur peut violer le contrat de diverses manières. Par exemple, il peut refuser de payer tout ou partie du cachet ; il peut annuler le concert ; il peut faire remplacer l’artiste par un autre ; il peut refuser de respecter son obligation d’effectuer la publicité pour le concert.

– L’artiste, lui aussi, peut se retrouver à violer le contrat. En particulier, il peut arriver qu’il soit absent ou en retard ; il peut aussi arriver qu’il joue un autre programme que celui qui était prévu. Il peut aussi arriver que l’un des membres du groupe soit absent et/ou remplacé par quelqu’un d’autre. Enfin, il peut jouer de manière insatisfaisante au niveau technique ou artistique.

– Il peut également arriver qu’un événement survienne sans responsabilité de l’une ou l’autre partie : l’artiste peut tomber malade ; la salle de concert peut brûler ; il peut y avoir une grève des transports publics. Ces événements sont appelés « cas de force majeure » et entraînent diverses conséquences juridiques.

– Ces cas de figure constituent tous des cas d’inexécution ou de mauvaise exécution du contrat. Ils sont très complexes au niveau juridique et entraînent différentes conséquences que je ne peux pas détailler ici. C’est pourquoi la règle d’or devrait toujours être de signer un contrat écrit.

Si l’organisateur propose un contrat « type », il faut toujours le lire, discuter des clauses qui ne paraissent pas claires et négocier celles qui ne conviennent pas. Les deux parties, organisateur et musicien, se trouveront ainsi dans une situation juridique plus claire et pourront consacrer leur énergie et leur talent à ce qui importe vraiment : la musique.

Quelles clauses ce contrat devrait-il contenir ?

Certains contrats contiennent simplement le nom des parties, la date du concert et le cachet ; d’autres, au contraire, s’étendent sur plusieurs pages. Il n’existe pas de formule type, prête à l’emploi, pour ce genre de document. La formulation et le contenu dépendent de nombreux facteurs, comme la relation préexistante entre les parties, la réputation de l’artiste, le montant du cachet, l’importance du concert, les sommes investies par l’organisateur, etc.

Au minimum, le contrat devrait cependant contenir les éléments suivants :
– Le nom des parties (y compris, lorsqu’il s’agit d’un groupe, le nom de tous les musiciens). Il faut préciser si le groupe a le droit d’effectuer des changements dans la composition du groupe et de l’instrumentation.
– Le cachet : quel est le montant exact du cachet ? Quand est-il payé ? Comment est-il calculé (par exemple, comprend-il un pourcentage des ventes de billets ? Si oui, qui contrôle la caisse et l’encaissement ?) ? Comprend-il l’impôt à la source ? Les frais de transport et de logement sont-ils compris ?
– La rémunération des droits d’auteur et des droits voisins.
– Le droit (ou l’interdiction) pour l’organisateur d’effectuer un enregistrement (audio ou vidéo) et son droit de diffuser cet enregistrement.
– Le contenu du programme – éventuellement, la durée prévue du concert.
– La répartition des obligations entre le/les musicien(s) et l’organisateur : qui fournit les instruments ? le matériel ? Qui est responsable de la salle de concert ? de la sécurité ? etc. Et qui paie pour quoi ? Par exemple, l’organisateur peut s’engager à effectuer la publicité pour l’événement, mais peut retenir une partie des recettes du concert.
– L’indemnité due en cas d’annulation du concert par l’une ou l’autre des parties. Par exemple, le musicien peut se réserver le droit d’annuler le concert jusqu’à 6 mois à l’avance sans indemnité ; ou encore, si l’organisateur annule le concert 3 mois avant la date prévue, il paiera un quart du cachet convenu, si c’est 2 mois avant, la moitié du cachet. Le musicien a-t-il l’obligation de proposer un remplaçant ? Ce genre de clause peut être modelée selon la volonté des parties. L’éventualité d’une annulation du concert devrait toujours être abordée par les parties.
– Le(s) motif(s) permettant l’annulation du concert. Par exemple, si l’organisateur décide de remplacer l’artiste par un autre, le premier a-t-il droit à une indemnisation ?
– Les cas dans lesquels aucune indemnité n’est due si le concert n’a pas lieu. Par exemple, l’artiste peut tomber malade et se trouver incapable d’effectuer le concert ; la salle de concert peut brûler, sans la faute de l’organisateur.

Pour terminer…

Que vous soyez travailleur ou indépendant, le contenu de votre contrat est très important. Même s’il n’existe aucun document écrit, le simple fait que vous vous soyez mis d’accord avec l’organisateur sur un lieu, une date et un programme de concert constitue un contrat dont vous avez le droit de réclamer l’exécution.
Enfin, voici quelques liens utiles :
– Recueil systématique du droit fédéral :http://www.admin.ch/bundesrecht/00566/index.html?lang=fr
– Office fédéral des assurances sociales :http://www.bsv.admin.ch/praxis/02504/index.html?lang=fr
– Le site du Secrétariat d’Etat à l’économie propose de nombreux outils pour comprendre le droit du travail, en particulier ce FAQ :http://www.seco.admin.ch/themen/00385/00420/04667/index.html?lang=fr
Et, pour les lecteurs alémaniques, le très bon ouvrage de M. Poto Wegener, Musik & Recht, Schweizer Handbuch für Musikschaffende, 2003, disponible ici :http://www.schulthess.com/buchshop/detail/ISBN-9783980954020/Wegener-Poto/Musik-und-Recht